Souveraineté économique européenne et commande publique
Une réponse ministérielle apporte d’utiles précisions sur les modalités d’application de l’article L. 2112-4 du code de la commande publique selon lequel « un acheteur public peut imposer que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d’un marché, pour maintenir ou pour moderniser les produits acquis soient localisés sur le territoire des États membres de l’Union européenne afin, notamment, de prendre en compte des considérations environnementales ou sociales ou d’assurer la sécurité des informations et des approvisionnements. »
Le Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dans une réponse publiée le 26/10/2023 considère que :
Les conditions d’exécution et les critères d’attribution relatifs à la localisation géographique des opérateurs économiques sont prohibés dès lors qu’ils sont susceptibles de méconnaître les principes fondamentaux de la commande publique, notamment le principe de non-discrimination entre les candidats et de liberté d’accès à la commande publique. Par dérogation, l’article L. 2112-4 du code de la commande publique offre néanmoins la possibilité pour les acheteurs d’imposer, dans leurs cahiers des charges, la localisation des moyens utilisés pour l’exécution de tout ou partie d’un marché public sur le territoire des États membres de l’Union européenne (y compris pour la maintenance ou pour la modernisation des produits acquis). Toutefois, cette disposition ne doit pas faire échec à la mise en oeuvre de la garantie d’égal accès à la commande publique accordée par l’Union européenne à certains pays tiers dans le cadre d’accords commerciaux, rappelée à l’article L. 2153-1 du code de la commande publique, ni porter une atteinte excessive à la libre concurrence ou aux libertés garanties par le marché unique. Elle ne peut donc pas s’interpréter comme instaurant une présomption de régularité de cette exigence d’implantation géographique ni comme permettant de fonder une préférence européenne qui justifierait de créer des discriminations envers les entreprises et les fournitures originaires des pays tiers à l’Union lorsque celles-ci bénéficient d’un accès garanti au marché européen. En effet, les acheteurs ne peuvent y avoir recours que s’ils démontrent qu’elle est justifiée par l’objet du marché, nécessaire et proportionnée aux objectifs de bonne exécution du contrat (CJCE, 27 octobre 2005, Commission des Communautés européenne c/ Royaume d’Espagne, Aff. C-158/03 ; CE, 14 janvier 1998, Société Martin Fourquin, n° 168688). La mise en oeuvre de l’article L. 2112-4 du code de la commande publique doit donc être appréciée au cas par cas. L’acheteur doit pouvoir démontrer que seule une exigence de localisation de tout ou partie des moyens est en mesure d’atteindre ses objectifs, notamment en termes de sécurité des informations et des approvisionnements ou de prise en compte de considérations sociales ou environnementales. Il lui revient donc de justifier, pour chaque marché, que seule cette exigence constitue une condition déterminante, adéquate et effective de la bonne exécution des prestations, à l’exclusion de toute autre exigence de moindre effet. Seuls les moyens utilisés pour l’exécution du marché sont visés par cette disposition. Cela peut concerner, notamment, le lieu de production ou encore l’entrepôt où sont stockées les pièces ou les données, sous deux réserves. D’une part, l’objet de l’implantation ne peut être imposé que s’il s’agit du seul moyen de répondre aux objectifs poursuivis. D’autre part, il n’est pas possible d’exiger une implantation géographique préexistante à l’attribution du marché : il ne peut s’agir que d’une condition d’exécution du marché qu’un opérateur économique s’engage dans son offre à honorer après l’attribution et la signature du contrat. Les acheteurs peuvent mettre en oeuvre cette disposition notamment pour des marchés spécifiques, nécessaires pour le bon fonctionnement et la continuité de leurs missions et activités. Dans ce cadre, les justifications peuvent par exemple résider dans la nécessité de garantir la sécurité des approvisionnements pour des produits de santé indispensables à la continuité du service public hospitalier ou à la réalisation d’actes de soin urgents et vitaux, dans les contextes de crises sanitaires ou internationales pouvant entraîner des pénuries. Cela pourrait aussi être lié à des nécessités relatives à la garantie de la sécurité des informations qui impliqueraient, outre des garanties spécifiques liées au respect des règles du règlement général 2016/679 sur la protection des données, d’exiger l’implantation de serveurs informatiques sur le territoire de l’Union dont les données ne pourraient être extraites à distance par des entreprises installées dans des pays tiers n’apportant pas les garanties exigées par ce règlement, à la disponibilité dans des délais raisonnables de pièces de rechange dans le cadre de marchés relatifs à l’installation, l’entretien ou la maintenance d’installations de production d’énergie, voire pour répondre à des perturbations ou indisponibilités exceptionnelles sur certains segments ou secteurs industriels sous tension. Dans l’hypothèse où les conditions de recours à l’exigence de localisation des moyens d’exécution du contrat seraient réunies, il est possible d’en faire une condition minimale obligatoire pour tous et de prévoir en outre un critère d’attribution permettant à l’acheteur d’évaluer la qualité (la valeur technique, la pertinence, l’adéquation, l’effectivité, etc.) des mesures proposées et des garanties associées au regard de l’objet et des conditions d’exécution du marché. Dans ce cadre, une meilleure note serait conférée à l’offre présentant le meilleur niveau de garantie des approvisionnements et le moins de risques que la bonne exécution du contrat soit contrariée par des réquisitions ordonnées par des autorités étrangères. Dans la droite ligne de ces préoccupations, les autorités françaises soutiennent activement le projet de règlement de l’Union européenne pour une industrie « zéro net » (NZIA), ainsi que celui sur les véhicules utilitaires lourds qui, en l’état, imposent notamment aux acheteurs de tenir compte, lorsqu’ils acquièrent des technologies « zéro net » ou des bus urbains, d’un critère de durabilité et de résilience qui permet de garantir une diversification et ainsi une sécurité des sources d’approvisionnement.