DAJ, Fiche technique 2019, Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices Les pouvoirs adjudicateurs « personnes morales de droit privé poursuivant une mission d’intérêt général »Pour qualifier une entité de pouvoir adjudicateur, les directives européennes relatives à la commande publique ne tiennent pas compte de la nature de la personne morale au sens du droit interne. En effet, le statut de la personne morale (publique ou privée) est indifférent pour la qualification d’organisme de droit public et donc de pouvoir adjudicateur au sens de ces directives (19). Ainsi, conformément aux dispositions du 2° de l’article L.1211-1 du code de la commande publique, sont des pouvoirs adjudicateurs les « personnes morales de droit privé » qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial et dont : « a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; « b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; « c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ». Seule une analyse au cas par cas permet de déterminer si ces acheteurs privés satisfont ou non aux critères énoncés. Le caractère cumulatif de trois critères fixé par les dispositions de la directive 2014/24/UE, repris dans le code, est affirmé par la CJUE (20) . Le fait que l’entité en cause ne soit pas référencée au sein des annexes I, II ou III de l’appendice I de l’accord sur les marchés publics conclu dans le cadre de l’accord OMC en ce qui concerne l’Union européenne ne signifie en aucun cas que cet organisme ne constitue pas un pouvoir adjudicateur. 19 CJUE, 15 mai 2003, Commission contre royaume d’Espagne, Aff. C-214/00, pts. 55 à 57 et CJCE, 13 janvier 2005, Commission contre royaume d’Espagne, Aff. C-84/03, pts. 27 et 28. 20 CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a., Aff. C-44/96, pt. 21 et 39. Voir également CJCE, 10 novembre 1998, BFI Holding BV, Aff. C-360/96, pt. 29 et CJCE, 10 mai 2001, Agorà SRL, Aff. C-223/99 et C-260/99, pt. 26. Personnalité juridiqueCe critère ne pose pas difficulté (21) . Dès lors que l’entité dispose de la personnalité juridique et qu’elle est dotée d’une capacité juridique, elle peut en principe conclure des contrats. Disposent ainsi de la personnalité juridique les sociétés, associations, groupements d’intérêt économiques, etc. 21 Le juge du droit de l’Union européenne opère une lecture européenne de la notion de personnalité juridique : TPI, 4 juin 2013, Elitaliana SpA contre Eulex Kosovo, Aff. T-213/12, pts. 26 et 37. Objet socialLe critère selon lequel la personne morale doit avoir été « créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial » doit être interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE qui en a retenu une acception large au regard du double objectif d’ouverture à la concurrence et de transparence. Pour apprécier si des activités poursuivent un but d’intérêt général dépourvu de caractère industriel ou commercial, la CJUE fonde son analyse sur un faisceau d’indices liés aux circonstances ayant présidé à la création de la personne morale et aux conditions dans lesquelles elle exerce son activité (22) . 22 CJUE, 16 octobre 2003, Commission contre Royaume d’Espagne, aff. C-283/00, cons. 81. S’agissant du terme « créé »La CJUE a précisé (23) que « l’effet utile de la directive ne serait pas pleinement préservé si l’application du régime de la directive pouvait être exclue du seul fait que les tâches d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial que celle-ci accomplit en pratique ne lui ont pas été confiées dès sa création » (considérant 57) et qu’« une entité qui n’a pas été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, mais qui a par la suite pris en charge de tels besoins, dont elle assure depuis effectivement la satisfaction, remplit la condition pour pouvoir être qualifiée d’organisme de droit public, à condition que la prise en charge de la satisfaction de ces besoins puisse être constatée objectivement » (considérant 63). Par conséquent, c’est l’activité effectivement exercée par la personne morale de droit privé qu’il convient de prendre en compte pour le qualifier ou non d’acheteur. 23 CJUE, 12 décembre 2002, Universale-Bau AG, aff. C-470/99 S’agissant du terme « spécifiquement »La condition selon laquelle la personne morale doit avoir été créé pour satisfaire « spécifiquement » des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, n’implique pas qu’elle soit « uniquement » ou « majoritairement » chargée de satisfaire de tels besoins. Le fait que la satisfaction des besoins d’intérêt général ne constitue qu’une partie relativement peu importante des activités réellement entreprises par la personne morale est sans pertinence dès lors que cette dernière continue à se charger des besoins qu’elle est spécifiquement obligé de satisfaire (24). 24 CJUE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a, aff. C-44/96, cons. 25 et 26. Sur la conséquence de la présence d’entreprises ayant des activités commerciales au sein du même groupe que l’organisme de droit public : CJUE, 10 novembre 1998, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden c/ BFI Holding BV, aff. C-360/96, cons. 56 et 57. S’agissant des termes « besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ».La première question consiste à s’interroger sur le caractère d’intérêt général du besoin satisfait. La notion de « besoin d’intérêt général » est une notion autonome interprétée par la CJUE afin d’en assurer une application uniforme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Ainsi, la Cour examine chaque cas afin de le qualifier ou non de besoin d’intérêt général. La législation nationale ne peut discrétionnairement décider que tel ou tel besoin est ou n’est pas d’intérêt général. À cet égard, la Cour juge qu’une activité répond à un besoin d’intérêt général lorsqu’elle profite à la collectivité et qu’une personne publique pourrait, à ce titre, la prendre en charge. Exemples : La deuxième question vise à déterminer si le besoin d’intérêt général a un caractère autre qu’industriel ou commercial. La Cour a précisé que « les besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial sont en règle générale satisfaits d’une manière autre que par l’offre de biens ou de services sur le marché. Il s’agit en général de besoins que, pour des raisons liées à l’intérêt général, l’État choisit de satisfaire luimême ou à l’égard desquels il entend conserver une influence déterminante » (30). Cette définition européenne est fondée sur la possibilité pour un État de décider de conserver une influence déterminante sur une activité jugée nécessaire dans la mesure où cette activité pourrait ne pas être entièrement satisfaite par les offres d’opérateurs entièrement privés. Il ressort dès lors de la jurisprudence que l’absence de concurrence ne doit pas être considérée comme une condition sine qua non à la reconnaissance d’une personne morale de droit public puisque la notion de besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial n’exclut pas des besoins qui sont également satisfaits ou pourraient l’être par des entreprises privées (31). Cependant, l’existence d’une concurrence développée peut être un indice au soutien du fait qu’il ne s’agit pas d’un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial. La Cour a également souligné que d’autres facteurs devaient être pris en compte pour déterminer le caractère autre qu’industriel ou commercial du besoin, notamment les conditions dans lesquelles la personne morale exerce ses activités. En effet, si la personne morale opère dans des conditions normales de marché, poursuit un but lucratif et supporte les pertes liées à l’exercice de son activité, il est peu probable que les besoins qu’elle vise à satisfaire soient d’une nature autre qu’industrielle ou commerciale. Ainsi, pour reconnaître que l’intérêt général est autre qu’industriel ou commercial, il n’est pas exclu que les activités donnent lieu à la réalisation de bénéfices. Il importe en revanche que la recherche de tels bénéfices ne constitue pas l’objet principal de la personne morale (32). En outre, le fait que le pouvoir adjudicateur auquel l’organisme est lié opère une recapitalisation de la personne morale dans le cas où celle-ci est déclarée en faillite ou réalise des pertes financières, est un indice du caractère autre qu’industriel ou commercial du besoin satisfait. La personne morale de droit privé ne se comporte pas comme un simple opérateur privé puisqu’il n’assume pas l’intégralité des risques liés à son activité et qu’il se laisse guider par des considérations autres que purement économiques. Exemple d’intérêt général ayant un caractère commercial : L’organisation de foires et d’expositions est une activité économique qui consiste à fournir des services aux exposants contre versement d’une contrepartie. Par son activité, l’entité satisfait des besoins de nature commerciale. Par conséquent, les activités visant à l’organisation de foires, d’expositions satisfont un besoin d’intérêt général ayant un caractère commercial. L’entité n’est dès lors pas qualifiée d’organisme de droit public (33). 24 CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a, Aff. C-44/96, pts. 25 et 26. Sur la conséquence de la présence d’entreprises ayant des activités commerciales au sein du même groupe que l’organisme de droit public : CJCE, 10 novembre 1998, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden c/ BFI Holding BV, Aff. C-360/96, pts. 56 et 57. Voir également CJUE, 5 octobre 2017, « LitSpecMet » UAB contre « Vilniaus lokomotyvų remonto depas » UAB, aff. C-567/15, pts 40 et 41. 25 CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a., Aff. C-44/96, pts. 22 à 24. 26 CJCE, 10 mai 2001, Agorà Srl, Aff. C-223/99 et C-260/99, pts. 33 et 34. 27 CJCE, 27 février 2003, Adolf Truley, Aff. C-373/00, pts. 51 à 53 et 66. 28 CJCE, 22 mai 2003, Arkkitehtuuritoimisto Riittta Korhonen Oy, Aff. C-18/01, pts. 41 à 45, 61 et 62. 29 CJCE, 16 octobre 2003, Commission contre Royaume d’Espagne, Aff. C-283/00, pts. 84 à 86. 30 Cass. Soc. 28 mars 2018, CHSCT du centre hospitalier de Chartres, n° 16-29106 et CAA de Marseille, 7 mai 2018, n° 17MA02615 31 Cass. Soc., 28 mars 2018, n° 16-29106. Etait aussi invoqué par l’établissement public hospitalier demandeur le fait que les ressources financières du CHSCT étant apportées par l’employeur, le critère du financement majoritaire objet du point 2.3.1 de la présente fiche aurait été rempli. 32 Soit non pas un intérêt général mais l’intérêt particulier d’un groupe de salariés reconnu par la loi. 33 CJCE, 10 novembre 1998, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden contre BFI Holding BV, Aff. C-360/96, pts. 50 et 51. Lien avec un pouvoir adjudicateurCe critère vise à constater l’existence d’une dépendance étroite de la personne morale de droit privé à l’égard d’un organisme soumis aux dispositions du droit de l’Union européenne en matière de marchés publics (38). Ce troisième critère est satisfait dès lors que l’une des conditions suivantes est remplie : La Cour a eu l’occasion d’appliquer ce critère à un ordre professionnel, en estimant qu’« un ordre professionnel de droit public, ne remplit ni le critère relatif au financement majoritaire par les pouvoirs publics lorsque cet organisme est financé majoritairement par les cotisations payées par ses membres, dont la loi l’habilite à fixer et à percevoir le montant, dans le cas où cette loi ne détermine pas l’étendue et les modalités des actions que ledit organisme entreprend dans le cadre de l’accomplissement de ses missions légales, que ces cotisations sont destinées à financer, ni le critère relatif au contrôle de la gestion par les pouvoirs publics du seul fait que la décision par laquelle le même organisme fixe le montant desdites cotisations doit être approuvée par une autorité de tutelle » (39). 38 CJCE, 3 octobre 2000, The Queen contre H.M. Treasury ex parte : University of Cambridge, Aff. C-380/98, pt. 20. 39 CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH & Co. KG, Aff. C-526/11, pt. 31, Financement majoritaire par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit publicS’agissant de la notion de financement public, seuls les financements versés sans contrepartie spécifique aux activités de la personne morale de droit privé concernée peuvent être qualifiés de « financement public ». La Cour de justice a confirmé que « la notion de financement vise un transfert de moyens financiers opéré sans contrepartie spécifique, dans le but de soutenir les activités de l’entité concernée » (40). Ne constituent donc pas un financement public, au sens de la définition de l’organisme de droit public, les versements effectués en contrepartie de prestations de services. Sont notamment qualifiées de financement public par la Cour les subventions. Sur le caractère « majoritaire » du financement public, la Cour précise que « le terme « majoritairement » doit être interprété comme signifiant « plus de la moitié ». [Pour un tel calcul], il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des revenus dont l’organisme bénéficie, y compris ceux qui résultent d’une activité commerciale. (…) L’exercice budgétaire au cours duquel la procédure de passation d’un marché déterminé est lancée doit être considéré comme la période la plus appropriée pour le calcul du mode de financement de cet organisme, étant entendu que ce calcul doit être effectué sur la base des chiffres disponibles au début de l’exercice budgétaire, fussent-ils de nature prévisionnelle »(41). La Cour a jugé par exemple qu’il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités d’organismes de radiodiffusion publics sont financées majoritairement par une redevance mise à la charge des détenteurs d’un poste récepteur, qui est imposée, calculée et perçue suivant des règles exorbitantes du droit commun et sans contre-prestation spécifique (42). 40 CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH & Co. KG, Aff. C-526/11, pt. 22. 41 Ibid. pts. 21 et 26. 42 Pts. 44 à 50 des conclusions de l’affaire University of Cambridge, Aff. C-380/98. Gestion soumise à un contrôle par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres personne morales de droit publicLe contrôle requis se caractérise par la capacité d’influencer les décisions de la personne morale de droit privé concernée. Ce doit être un contrôle actif. C’est pourquoi, l’hypothèse d’un simple contrôle a posteriori ne suffit pas à considérer que le critère du contrôle de gestion est satisfait (43). La Cour a cependant nuancé sa position puisqu’elle précise, dans un arrêt relatif aux SAHLM, que dès lors que les règles de gestion sont très détaillées, la simple surveillance de leur respect peut, à elle seule, aboutir à conférer une emprise importante aux pouvoirs publics (44). Mais si la personne morale de droit privé jouit d’une autonomie organisationnelle et budgétaire et que le contrôle ne s’effectue qu’a posteriori, le juge considère qu’il y a absence de tutelle ou de contrôle sur cette personne (45). Par conséquent, le contrôle de gestion peut éventuellement être a priori dès lors qu’il ne se résume pas à un simple contrôle de la régularité. En l’affaire, l’effectivité du contrôle de gestion était révélée par la possibilité pour le ministre de prononcer la dissolution de la SAHLM, de nommer un liquidateur, de suspendre les organes dirigeants et de nommer un administrateur provisoire, autant d’indices qui, selon la Cour, impliquent un contrôle permanent de la personne morale. 43 CJCE, 3 octobre 2000, The Queen contre H.M. Treasury ex parte : University of Cambridge, Aff. C-380/98, pts. 33, 36 et 44. 44 CJUE, 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk, Aff. C-337/06. 45 CJCE, 27 février 2003, Adolf Truley, Aff. C-373/00, pts. 70 à 73 Organe d’administration, de direction ou de surveillance composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit publicCe dernier critère ne pose pas a priori de difficultés d’interprétation. La Cour a été amenée à le rechercher : « Quant à la troisième condition, il y a lieu de constater que le directeur général de l’ÖS est nommé par un organe composé en majorité des membres nommés par la Chancellerie fédérale ou différents ministères. De plus, elle est soumise au contrôle de la Cour des comptes et un office de contrôle étatique est chargé de veiller aux imprimés soumis à un régime de sécurité. Enfin, selon les déclarations faites à l’audience par la SRG, la majorité des actions de l’ÖS restent dans les mains de l’État autrichien »(48). (48) CJUE, 15 janvier 1998, aff. C-44/96 |