Circulaire n° 6338-SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières

Code : Commande Publique

 

Circulaire n° 6338-SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières

La théorie de l’imprévision, codifiée au 3° de l’article L.6 du code de la commande publique, prévoit, en cas de survenance d’un « événement extérieur aux parties, imprévisibles et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat», que le cocontractant qui en poursuit l’exécution a droit à une indemnité. Cette indemnité a pour objet de compenser une partie des charges supplémentaires, généralement qualifiées d’« extracontractuelles », parce que non prévues lors de la conclusion du contrat, qui entraînent le bouleversement de son équilibre.

En principe, il n’y a pas lieu de recourir à la théorie de l’imprévision lorsque le marché comporte un mécanisme de révision de prix en fonction de la conjoncture économique. Toutefois, le droit du titulaire à indemnité peut être reconnu lorsque, même après application des clauses contractuelles, l’économie du contrat est bouleversée.

Si la hausse exceptionnelle du prix du gaz et du pétrole constatée depuis le dernier trimestre 2021, dont l’ampleur est accentuée par la crise en Ukraine, est sans conteste imprévisible et extérieure aux parties, tout comme la flambée du prix de certaines matières premières, la condition tenant au bouleversement de l’économie des marchés doit en revanche être analysée au cas par cas en tenant compte des spécificités du secteur économique et des justifications apportées par l’entreprise.

L’imprévision n’est admise que si « l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée » (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928). Ce bouleversement doit entraîner dans le cadre de l’exécution du contrat un déficit réellement important et non un simple manque à gagner.

Il convient donc de procéder à la détermination des charges extracontractuelles qui pèsent sur le contrat du fait de l’augmentation exceptionnelle des prix, qu’il s’agisse de celui de l’énergie ou de celui de certaines matières premières à l’exclusion des autres causes ayant pu occasionner des pertes à l’entreprise. Ces charges sont appréciées par rapport à l’exécution du marché au coût estimé initialement pour des conditions économiques normales. Elles doivent être déterminées au cas par cas au vu de justifications comptables. Le titulaire doit donc être en mesure de justifier, d’une part, son prix de revient et sa marge bénéficiaire au moment où il a remis son offre et, d’autre part, ses débours au cours de l’exécution du marché. Le cas échéant, il conviendra de tenir compte de la différence entre l’évolution réelle des coûts et celle résultant de l’application de la formule de révision.

Si la jurisprudence ne fixe pas de seuil unique au-delà duquel elle reconnaît un tel bouleversement, cette condition n’est, en principe, considérée comme remplie que lorsque les charges extracontractuelles ont atteint environ un quinzième du montant initial HT du marché ou de la tranche. À titre d’exemple, une augmentation supérieure à 7 % du coût d’exécution des prestations, en raison de la hausse forte et imprévisible du prix du carburant en 2000, a été considérée comme bouleversant l’équilibre financier du contrat (CAA Marseille, 17 janvier 2008, Société Altagna, n° 05MA00492) alors qu’une augmentation de l’ordre de 3 % a été jugée comme n’ayant pas bouleversé l’équilibre d’un contrat (CE 30 novembre 1990, Société Coignet entreprise, n° 53636).

Lorsque l’état d’imprévision est caractérisé, le montant de l’indemnité doit être déterminé au cas par cas. La perte effective subie par l’entreprise étant la conséquence d’événements extérieurs aux parties, elle ne peut pas être supportée par l’administration seule. Si la jurisprudence a, en moyenne, fixé la part d’aléa laissée à la charge du titulaire à 10 % du montant du déficit résultant des charges extracontractuelles, ce taux est néanmoins susceptible de varier entre 5 % et 25 % en fonction des circonstances et notamment des éventuelles diligences mises en œuvre par l’entreprise pour se couvrir raisonnablement contre les risques inhérents à toute activité économique. Dans l’appréciation de ces diligences, il convient bien sûr de prendre en compte les différences de situation des entreprises : les PME, les TPE et les artisans n’ont pas les mêmes moyens que les grandes entreprises et les grands groupes pour anticiper et couvrir les aléas extraordinaires susceptibles d’affecter leurs approvisionnements.

Si le montant des charges extracontractuelles doit être évalué sur l’ensemble du contrat, et donc à la fin de l’exécution de celui-ci, cette indemnité doit, au moins pour partie, être versée de façon aussi proche que possible du moment où le bouleversement temporaire de l’économie du contrat en affecte l’exécution. Dès lors, si le bouleversement temporaire du contrat est d’une ampleur telle qu’il est évident qu’une indemnité devra en tout état de cause être attribuée en fin d’exécution du marché ou que la poursuite même de l’activité de l’entreprise est menacée par les difficultés de trésorerie et les pertes subies, les acheteurs accorderont aux titulaires qui en font la demande des indemnités provisionnelles, mandatées avec chaque règlement, à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision dont le montant définitif ne pourra être déterminé qu’ultérieurement. Le montant de ces versements provisionnels, destiné à permettre à l’entreprise de faire face aux charges exceptionnelles qu’elle subit momentanément, sera fixé en tenant compte des données de chaque espèce et notamment de la situation du titulaire.

L’indemnisation d’imprévision ne peut pas, en principe, être formalisée dans un avenant au contrat puisqu’elle n’a pas pour vocation d’en modifier les stipulations mais seulement de compenser temporairement des charges extracontractuelles. Elle sera dès lors formalisée par une convention liée au contrat, applicable pendant la situation d’imprévision et qui pourra comprendre une clause de rendez-vous à l’issue du contrat de manière à fixer le montant définitif de l’indemnité.