Pas de trêve estivale pour le droit de la commande publique

Code : Commande Publique

Pas de trêve estivale pour le droit de la commande publique

L’été 2021 touche à sa fin et il fut riche pour les acheteurs publics, que ce soit en termes de nouveautés réglementaires ou de jurisprudence. Un petit récapitulatif pour faciliter votre rentrée.

Côté réglementation :

  1. La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a été promulguée et publiée au JORF du 25/08/2021.

Le titre premier de cette dernière énonce de « nouvelles » obligations pour les acheteurs et titulaires de marchés ayant pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public.

Le titulaire est ainsi « tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public ». L’acheteur doit quant à lui, dorénavant, rédiger des clauses spécifiques dans son marché :

  • rappelant ces obligations,
  • précisant les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant en cas de non-respect.

Ces obligations, leur date et modalités d’applications sont détaillées ici.

  1. La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi « Climat et résilience ») a été promulguée au JORF du 24/08/2021.

L’article 35 de cette loi comprend différentes mesures visant à améliorer la prise en compte du développement durable lors de la passation et l’exécution des contrats de la commande publique. Ces mesures concernent notamment :

  • la prise en compte des objectifs de développement durable dans les spécifications techniques: l’article L.2112-2 du Code de la commande publique modifié prévoit désormais l’obligation pour l’acheteur d’intégrer des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale au sein des spécifications techniques.
  • la prise en compte des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi dans les conditions d’exécution pour les marchés formalisés : le nouvel article L.2112-2-1 du Code de la commande publique comporte l’obligation de prévoir pour les marchés supérieurs aux seuils européens des conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi, notamment en faveur des personnes défavorisées. Le même article permet toutefois à l’acheteur de déroger à cette obligation :
    • si le besoin peut être satisfait par une solution immédiatement disponible ;
    • si cette prise en compte n’est pas susceptible de présenter un lien suffisant avec l’objet du marché ;
    • si cette prise en compte devait restreindre la concurrence ou rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation ;
    • s’il s’agit d’un marché de travaux d’une durée inférieure à six mois.

Le recours à l’une de ces dérogations doit être justifier dans le rapport de présentation s’il s’agit d’un pouvoir adjudicateur, ou par tout moyen approprié s’il s’agit d’une entité adjudicatrice.

  • la prise en compte des caractéristiques environnementales de l’offre dans les critères d’attribution: l’article L.2152-7 du Code de la commande publique modifié comporte désormais l’obligation de prévoir au moins un critère en matière environnementale. En pratique, cette modification interdit donc le recours au critère unique du prix.
  • la prise en compte obligatoire de l’environnement dans les conditions d’exécution: au-delà des spécifications techniques, l’article L.2112-2 du Code de la commande publique modifié prévoit que les conditions d’exécution doivent désormais prendre en compte des considérations relatives à l’environnement. Elles peuvent également prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations.

En outre, le même article 35 de la loi Climat et résilience inscrit les objectifs de développement durable dans un nouvel article L.3-1 du titre préliminaire du code de la commande publique. Il renforce également les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER). De plus, il ouvre la possibilité pour un acheteur d’exclure un soumissionnaire qui, soumis par l’article L.225-102-4 du code de commerce à l’obligation d’établir un plan de vigilance, ne satisfait pas à cette obligation pour l’année qui précède celle de l’engagement de la consultation (article L.2141-7-1 du Code de la commande publique modifié).

Ces dispositions qui ont fait l’objet d’une fiche explicative de la DAJ entreront en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 22 aout 2026. Il convient toutefois de noter que les mesures relatives aux SPASER font l’objet d’une exception et entreront en vigueur le 1er janvier 2023.

  1. Le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 entérine, en droit national, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 juin 2021, « Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20 ».

Le droit positif impose ainsi aux acheteurs d’indiquer dans les avis de marchés relatifs aux accords-cadres la quantité ou la valeur maximale des prestations qui pourront être commandées sur le fondement de ce dernier. Le décret supprime donc, à compter du 1er janvier 2022, la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum.

Attention toutefois à ne pas attendre cette échéance pour se conformer à cette obligation. En effet, dans une décision en date du 23 août 2021 (TA Bordeaux. Ord. 23 août 2021. Sté Coved. N°2103959), le juge des référés précontractuels du TA de Bordeaux a annulé une procédure de passation d’un accord-cadre sans maximum. Cette décision peut toutefois être qualifiée de sévère car si le montant par lot faisait défaut, le montant total était quant à lui indiqué. En effet, pour le juge : « la CJUE [..] a dit pour droit […] qu’un accord-cadre devait indiquer dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges une valeur ou une quantité maximale pour la durée de l’accord-cadre ainsi que pour chacun de ses lots. Il résulte de l’instruction que l’avis de marché publié au JOUE indique que la valeur totale estimée de l’accord-cadre est fixée à 3 532 000 euros, hors TVA. A supposer que cette valeur totale estimée figurant au point II.1.5 de l’avis d’appel à concurrence puisse être regardée comme indiquant la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre de l’accord-cadre, ni l’avis de marché, dont la rubrique II.2 6) n’est pas remplie, ni le cahier des clauses techniques particulières ni aucune autre pièce du marché ne mentionnent la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n°1 de l’accord-cadre en litige. La communauté de communes ne démontre pas que les pièces du marché permettaient aux candidats d’apprécier la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n°1 en litige. Ni l’énumération du tonnage des déchets collectés sur les six dernières années, de la fréquence, horaires et jours de collecte, ni l’indication du périmètre d’intervention, de la répartition des conteneurs et de la liste des points de collecte ne sont de nature, en l’état de l’instruction et en l’absence de précisions supplémentaires, de pallier l’absence de définition du maximum des prestations susceptibles d’être fournies en vertu de cet accord-cadre ».

Par ailleurs, le décret comprend plusieurs mesures visant à simplifier la passation des marchés publics de défense ou de sécurité notamment en :

  • relevant à 100 000 euros HT le seuil de dispense de procédure applicable à ces marchés ;
  • supprimant l’obligation de publication au BOAMP ou dans un journal d’annonces légales des avis de marché à partir de 90 000 euros HT et des avis d’attribution des marchés supérieurs au seuil européen ;
  • permettant une computation a posteriori des montants des marchés passés par carte d’achat ;
  • assouplissant les modalités de vérification des candidatures ;
  • supprimant l’obligation de constituer des garanties financières en contrepartie du versement de certaines sommes.

 

Côté jurisprudence :

Interprétation stricte des cas de recours au dialogue compétitif

Dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 7 octobre 2020, Lyon Métropole Habitat, n°440575), le TA de Rennes a, dans une ordonnance en date du 20 juillet 2021, interprété strictement les possibilités de recours à la négociation.

En l’espèce, le groupe hospitalier Centre Bretagne a mis en œuvre un dialogue compétitif pour attribuer un marché ayant pour objet la location de télévisions avec infogérance intégrée. Le recours à cette procédure était justifié par la complexité de l’opération.

Toutefois, le juge considère qu’ « il résulte de l’instruction, notamment du cahier des charges portant expression des besoins joint au dossier de consultation des entreprises, que le marché en litige vise à satisfaire la volonté du groupe hospitalier Centre Bretagne de faire évoluer l’ensemble des briques de son infrastructure de télévision sur les quatre sites qu’il gère, d’une part, en procédant au remplacement de l’ensemble des appareils, dont il est aujourd’hui propriétaire, au profit d’équipements loués (cette prestation consistant en un remplacement de la passerelle DVB/IP, un remplacement du Serveur IP TV, un remplacement des téléviseurs IP et coaxial ainsi que les télécommandes et un ajout de station de tête de télévision avec sortie en format DVB-T (TNT) pour récupérer un signal lisible, via câble coaxial 17-VATC, par des téléviseurs équipés d’un tuner TNT (COFDM)) et, d’autre part, en externalisant l’infogérance, devant permettre l’accès des patients aux chaînes de télévisions de la TNT, aux radios numériques, aux chaines locales et autres services (chaîne interne – devant notamment permettre d’améliorer l’accueil du public, de découvrir l’hôpital avant et durant une hospitalisation, de promouvoir les services et les pôles d’excellence, de mettre en avant l’expertise des équipes de soin et les pratiques médicales, de présenter les associations et les activités transversales, de remplir le rôle de prévention santé de l’établissement, de promouvoir et faciliter le remplissage du questionnaire de sortie, d’améliorer la relation entre le patient et l’hôpital, en diffusant des informations d’hospitalisation, les pathologies, les conditions d’hospitalisation, les droits, etc. -, bouquet thématique en option, service de vidéo à la demande, service de communication entre le patient et sa famille, ses amis, prévisions météorologiques, etc…), en disposant d’un système unique administrable de façon centralisée, devant s’interfacer avec le système de facturation actuel, et de téléviseurs identiques selon le mode de raccordement, cette prestation devant inclure un maintien en condition opérationnelle de la solution mise en œuvre, par la mise à jour continue du logiciel, la maintenance préventive régulière des équipements, la mise en place d’un centre d’appel dédié et la réalisation de prestations techniques avec présence mensuelle sur tous les sites […]

Pour spécifiques et précises que soient les exigences du groupe hospitalier Centre Bretagne, et pour particulier que puisse être le déploiement des prestations en multi-sites, il ne résulte toutefois pas de l’instruction que le marché en cause impliquait nécessairement et préalablement l’adaptation de solutions disponibles, le développement ad hoc d’une solution innovante ou la réalisation préalable de prestations de conception. Il n’en résulte pas davantage que ledit marché présentait des caractéristiques particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent, requérant une négociation préalable, ni que le pouvoir adjudicateur n’était pas en mesure d’en définir les spécifications techniques avec une précision suffisante. Dans ces circonstances, c’est au prix d’un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence que le groupe hospitalier Centre Bretagne a fait usage de la procédure de dialogue compétitif pour passer le marché en litige de location de télévisions avec infogérance intégrée ».

TA Rennes, ord. 20 juillet 2021, Sté Télécom services, n°2103274

En l’absence de stipulation expresse, les prix d’un marché public sont réputés inclure la TVA

Dans un arrêt, en date du 29 juin 2021, le Conseil d’Etat a jugé que « dans une opération soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, un prix stipulé sans mention de la taxe doit être réputé inclure la taxe qui sera due par le vendeur ou le prestataire de service, à moins qu’une stipulation expresse fasse apparaître que les parties sont convenues d’ajouter au prix stipulé un supplément de prix égal à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l’opération ». Il en va de même s’agissant des clauses d’intéressement d’un marché.

Voir : TVA : quelle applicabilité aux marchés publics ? et TVA et marchés publics

Conseil d’État, 7e – 2e chambres réunies, 29 juin 2021, n° 442506

 

La responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur peut être engagée en cas de manquement à l’obligation d’acceptation des conditions de paiement du sous-traitant de second rang

Dans un arrêt, en date du 24 juin 2021, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que l’obligation d’acceptation des conditions de paiement s’applique à tous les sous-traitants, quel que soit leur rang.

Ainsi, en cas de recours à un sous-traitant de second rang, le manquement à cette obligation est susceptible d’engager la responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur, pour autant que ce dernier ait eu connaissance du recours à ce sous-traitant au cours de l’exécution des prestations.

En effet, le juge  considère dans cet arrêt que : « Lorsque le sous-traitant direct du titulaire d’un marché de travaux a confié à un sous-traitant de second rang tout ou partie des missions qui lui incombent sans le faire accepter et sans faire agréer ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage ou sans délivrer de caution ou de délégation de paiement à ce sous-traitant de second rang, le maître d’ouvrage public est tenu, lorsqu’il a connaissance de cet état de fait au cours du chantier, de mettre en demeure le sous-traitant direct du titulaire du marché de régulariser sa situation. A défaut, il engage sa responsabilité quasi-délictuelle ».

En l’espèce, l’acheteur n’ayant pas eu connaissance de l’intervention du sous-traitant de second rang avant que les prestations réalisées par ce dernier ne soient achevées, il n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité en ne mettant pas en demeure le sous-traitant direct de faire agréer son propre sous-traitant et de lui délivrer une caution ou une délégation de paiement.

CAA de Lyon, 4e chambre, 24 juin 2021, n°19LY02594

Le Conseil d’Etat confirme la possibilité de produire un RAO obtenu illégalement à l’appui d’un référé précontractuel

Dans un arrêt en date du 9 juin 2021, le Conseil d’Etat a confirmé qu’un candidat évincé d’une procédure de passation d’un marché public ayant obtenu par des moyens détournés le rapport d’analyse des offres (RAO) peut valablement produire ce dernier à l’appui de son recours. En effet, le Conseil d’Etat estime que « si la société Lorany Conseils soutient en premier lieu que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen s’est à tort fondé sur des pièces communiquées par la société Gimarco en violation du secret des affaires, cette circonstance n’est pas de nature à entacher d’irrégularité ni d’erreur de droit son ordonnance, dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties ».

Cette solution peut paraître curieuse puisque le juge ne peut, de jurisprudence constante, imposer à l’acheteur de transmettre le RAO dans le cadre d’un tel référé.

CE, 9 juin 2021, Sté Lorany Conseils, n°449643

L’absence de signature de la DPGF n’implique pas nécessairement l’irrégularité de l’offre

Dans une décision en date du 31 mai 2021, le TA de Polynésie française rappelle que « le règlement de la consultation prévu par un pouvoir adjudicateur pour la passation d’un marché public est obligatoire dans toutes ses mentions », ce qui implique que « l’acheteur public ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres ».

En l’espèce, le RC imposait aux candidats de produire un « dossier d’offre technique et financière complet, comprenant les pièces suivantes, datées et signées : F. Un projet de marché comprenant : L’Acte d’Engagement (AE) et ses annexes, joint au dossier de consultation, à compléter et signer La Décomposition du Prix Global et Forfaitaire (DPGF) joint au dossier de consultation à compléter, et signer (…) ». Or, si le soumissionnaire dont l’offre a été rejetée n’avait pas signé la DPGF, il avait bien signé l’acte d’engagement auquel cette dernière était annexée et qui détermine l’engagement contractuel. Le juge considère ainsi qu’« il y a lieu de considérer que cette formalité de la signature de la DPGF figurant au règlement de la consultation ne présentait pas un caractère d’utilité justifiant que son absence doive conduire le pouvoir adjudicateur à rejeter comme étant irrégulière une offre omettant la signature de ce document. La société requérante dont l’offre a ainsi été écartée à tort comme étant irrégulière est donc fondée à demander pour ce seul motif l’annulation de la procédure de passation du marché ». Le juge enjoint donc à l’Office de reprendre sa procédure au stade de l’examen des offres en y incluant celle de la société SPIEMEF ».

TA Polynésie française, ord. 31 mai 2021, Sté SPIEMEF, n°2100179

L’acheteur est tenu d’exiger des justificatifs pour apprécier les offres au regard d’une caractéristique technique déterminée

Dans cet arrêt, en date du 17 mai 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que « lorsque, pour fixer un critère d’attribution d’un marché public, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats ».

En l’espèce, l’article 7-2 du règlement de consultation du marché prévoyait que la qualité des offres serait évaluée au regard d’un sous-critère dénommé « fiabilité du processus d’approvisionnement et de livraison de l’ensemble des équipements ». Or, comme le relève la Cour, aucune pièce n’était exigée des candidats pour apprécier cette caractéristique précise de leur offre. La notation de ce sous-critère était dès lors irrégulière.

CAA de Marseille, 6e chambre, 17 mai 2021, n°20MA02359